mercredi 7 juillet 2010

Pierre et la Mort IV

Pierre n’avait jamais eu peur des chiens, pourtant. Elle-même avait un chien, un petit bâtard adorable qui l’attendait gentiment dans sa petite maison. C’eut été un comble, tout de même. Pendant un instant, Pierre imagina le maître qui aurait eu une peur panique de son propre chien. Sa vie serait un enfer. Le clébard, rendu vicieux et sadique par le pouvoir qu’il possèderait sur son maître, maintiendrait un régime de terreur et règnerait sans partage sur la maison, choisissant les programmes à la télévision et obligeant le pauvre humain à coucher sur une paillasse malodorante tandis que lui se vautrerait sur le lit moelleux sans hygiène ni vergogne. Le “maître“ serait contraint de payer chaque jour un tribut en viandes de premier choix et de nettoyer les déjections du véritable maître des lieux qui, ne prenant même plus la peine de sortir, se laisserait aller dés que l’envie lui en prendrait. Cette pensée aurait fait sourire Pierre si cet affreux cabot avait bien voulu la lâcher un peu, ce chien aboyant et courant et grognant d’une colère inhumaine, longeant le grillage éperdu de frénésie. Il s’y jeta même à corps perdu, rebondissant d’une façon qui aurait également pu être comique, si elle n’avait pas été terrifiante. Terrifiante. Pierre était bien terrifiée. Elle n’avait peut-être pas habituellement peur des chien, ce n’était peut-être pas la première fois qu’elle était ainsi houspillée par un chien de garde lors d’une de ses promenades dominicales, mais cette fois, cette fois, et puis ce chien là. Elle doubla ses pas, puis les tripla et commença à courir. Le chien la poursuivait, puissant même encore impuissant. « Il est long comment, ce foutu jardin ? », hurlait Pierre dans sa tête. Le chien gueulait comme une meute. Les yeux révulsés, les babines retroussées deux ou trois fois. Jamais Pierre n’avait ressenti envers elle un tel désir de tuer, son cœur l’assourdissait. Elle arrivait au bout de la propriété. Enfin. Un portail. Ouvert.

Comme dans les cauchemars, Pierre envisageait et pesait ses options en un éclair, comme dans les cauchemars, chaque option était mauvaise. Courir de plus belle. En deux bonds il la rattrape. Faire demi-tour. Trop tard : il a vu la faille. Faire face. Peine perdue. Puis le regret : pourquoi ne pas avoir simplement fait demi-tour ? Quel orgueil déplacé l’avait fait longer ce jardin en entier ? Ce n’était qu’une promenade. Mais là bas, sur le palier de la maison, une vieille, blême, la vieille. Sauvée. D’un mot, elle calmerait le chien, qui n’était somme toute pas si méchant. « C’est la chaleur, vous comprenez ». Le chien est sous la table, c’est vrai qu’il n’a pas l’air si méchant. « Buvez ça ma pauv’ dame, ça vous remettra ». Puis « au revoir, pardon encore pour Napoléon. Dis pardon Napo. Dis pardon à la dame. ». Sauvée. Ou alors non, elle ne dit rien. Ou si peu, le chien couvre tout. Il est si proche que Pierre ne s’entend plus penser, ou alors elle ne pense plus. Le chien est sur elle, elle ne s’est même pas sentie tomber. Il mord et arrache, il entaille et lacère. C’est interminable. Pierre perd soudain la vue. Puis l’ouïe. Puis, elle ne sent plus rien. Plus de douleur . Et finalement, plus rien du tout.

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